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Soigner à Mossoul: « Il n’y a pas de héros dans cette histoire, juste des victimes »

Country
Irak
Theme
Conflits

Lorsqu’Ahmed est arrivé à l’hôpital MSF au sud de la ville de Mossoul, de nombreux membres du personnel ont fondu en larmes. Pendant des années, cet infirmier qualifié avait été leur collègue et avait soigné des malades et des blessés de Mossoul. Il était ce jour-là leur patient et il avait besoin de soins médicaux urgents.

Deux jours plus tôt, Ahmed et sa famille avaient été pris entre deux feux lorsqu’ils s’étaient enfuis de chez eux dans l’ouest de Mossoul. Ahmed avait été touché plusieurs fois. Sa femme et ses parents ont été gravement blessés et son plus jeune fils est mort dans ses bras.

« J’étais en train de courir, je me suis retourné et mon fils était haletant, raconte-il. J’ai vu qu’il avait de nombreuses blessures de balles dans le dos et sur la poitrine. En tant qu’infirmier, je savais qu’il était en train de mourir. Je ne pouvais rien faire pour le sauver. »

Les deux autres fils d’Ahmed sont aussi à l’hôpital, physiquement en bonne santé mais visiblement traumatisés ; tous deux ont le regard vide.

Les chirurgiens détenus à l’hôpital

Avant juin 2014, le personnel Irakien de MSF raconte que les hôpitaux de Mossoul assuraient des soins de très haute qualité. Il y avait des infirmiers, des médecins et des chirurgiens qualifiés, les médicaments adéquats et des équipements de très bonne qualité, disponibles et accessibles à tous. Sous le contrôle de l’Etat islamique (EI) cependant, les soins étaient encore disponibles mais la qualité des services avait commencé à décliner.

L'hôpital d'Al Salam, détruit lors de la bataille de Mossoul
L'hôpital d'Al Salam, détruit lors de la bataille de Mossoul © Francesco Segoni. Irak, 2017.

Selon le Dr Yasser, un chirurgien de Mossoul qui a rejoint les équipes MSF il y deux mois, de nombreux personnels médicaux ont décidé de rester dans la ville, malgré les risques, pour aider la population de Mossoul. « Tout le matériel médical et les médicaments avaient été pris des hôpitaux publiques pour bénéficier aux quelques hôpitaux contrôlés par l’EI, et de moins en moins de cliniques pouvaient fonctionner à cause du manque de matériel. Si une personne était gravement atteinte, elle pouvait demander la permission de sortir de Mossoul pour essayer de recevoir un traitement. Dans le cas où cette autorisation lui était donnée, un de ses proches était pris en « garantie » au cas où la première ne revienne pas. »

 « C’est dramatique d’être patient à Mossoul Ouest »

De nombreux personnels de santé font partie des 200 000 civils pris au piège dans Mossoul Ouest. Et depuis que les combats se sont intensifiés, de nombreux hôpitaux ont été endommagés ou détruits par les tirs, obus ou bombardements aériens. 

« Il reste peu d’hôpitaux à Mossoul Ouest. raconte Ahmed depuis son lit d’hôpital. Les deux dernières semaines, je travaillais dans une des seules structures encore actives et il n’y avait que moi pour m’occuper d’une unité de soins. Il y avait seulement un membre du personnel par unité alors qu’il pouvait y en avoir jusqu’à dix auparavant… »

Pendant les combats, il arrivait que les structures de santé soient attaquées ou se retrouvent sur la ligne de front. Les travailleurs de santé devaient parfois se cacher, ou même soigner les patients dans leurs propres maisons.

Une mère et son enfant dans le centre de traitement de nourriture thérapeutique de MSF
Une mère et son enfant souffrant de malnutrition dans le centre de traitement de nourriture thérapeutique de Qayyarah © Hussein Amri 

 « Nous savions que la guerre arrivait et nous nous étions tous préparés depuis des mois, se souvient le Dr Wassim. J’avais fait des stocks de médicaments et de matériel médical essentiels pour tenir un certain temps. Il y avait plusieurs médecins dans le quartier et chacun devait couvrir une rue, un lotissement ou une zone. Nous avions des anti-analgésiques et des antibiotiques, mais nous manquions de certains matériels vitaux comme de drains thoraciques, et nous étions contraints d’improviser. Un jour, à la suite d’une attaque aérienne, un pilier en béton s’est effondré sur la jambe d’un patient, coincée sous les débris. Ils n’ont pas pu le dégager et le chirurgien général a dû l’amputer sans anesthésie, sous morphine seulement. Ils lui ont sauvé la vie. »

 « C’est dramatique d’être patient à Mossoul Ouest, ajoute Ahmed. La plupart de ceux qui avaient besoin de soins intensifs sont morts, et un grand nombre sont décédés parce qu’ils n’ont pas pu atteindre l’hôpital à temps. »

 « Je suis médecin et c’est mon devoir »

Au cours de la bataille de Mossoul, de nombreux travailleurs de santé ont eux-mêmes été victimes de violences ou ont vu leurs proches, amis et collègues, mutilés ou tués. Concetta Feo, psychologue pour MSF, a organisé des sessions individuelles et de groupes afin de fournir un soutien psychologique au personnel irakien de MSF ainsi que des formations pour leur permettre de prodiguer un soutien psychologique de base.

« Tous nos collègues irakiens, médicaux ou non, expriment le besoin d’avoir un soutien psychologique, rapporte Concetta. Ils ont tous vécu des expériences traumatisantes, et en particulier les médecins qui ont été directement exposés aux horreurs du conflit. Pendant des mois, même des années, ils ont risqué leur vie pour sauver celle des autres. Après une attaque aérienne, les conducteurs d’ambulances et infirmières sont souvent les premiers sur place pour évacuer les blessés, ou creuser dans les débris, craignant de trouver, parmi les victimes, des proches, voisins, ou amis. »

Les équipes de l’hôpital travaillant en salle d’urgence à Mossoul et dans les zones aux alentours ont également été exposées aux horreurs du conflit, souvent très proches de leurs domiciles. Beaucoup d’employés MSF ont toujours de la famille dans les zones de Mossoul Ouest contrôlées par l’EI, et n’ont plus reçu de nouvelles depuis des semaines voire des mois.

 « Quand nous recevons des patients, la première chose que nous demandons est « d’où venez-vous ?», relate le Dr Wassim, car les quartiers d’où ils viennent sont probablement nos quartiers – et que nos familles y vivent. Mon pire cauchemar serait de recevoir un jour un membre de ma famille dans une salle d’urgence. Parfois nous en perdons notre professionnalisme et nos émotions sont trop fortes. Nous n’avons pas des cœurs de pierre. »

En dépit des épreuves extrêmes et de la profonde tristesse du quotidien dans la ville et aux alentours, la résilience des travailleurs de santé est impressionnante.

MSF prodigue des soins dans un camp de déplacés qui ont fui les violences de Mossoul
MSF prodigue des soins dans un camp de déplacés qui ont fui les violences de Mossoul © Giulio Piscitelli. Irak, 2017. 

« Attendre des nouvelles et redouter d’en recevoir des mauvaises est émotionnellement et psychologiquement épuisant pour beaucoup de nos collègues. Mais travailler à l’hôpital MSF les aide: cela veut dire qu’ils font quelque chose de concret pour soutenir ceux qui sont toujours coincés de l’autre côté », conclut Concetta.

A la question de savoir si son travail dans Mossoul relève de l’héroïsme, le Dr Wassim répond : « Il n’y a pas de héros dans cette histoire, seulement des victimes. Nous n’avions simplement pas le choix. Parfois, j’avais peur lorsqu’il fallait que je sorte pour récupérer des patients blessés, mais je m’asseyais un moment et je me disais : « Si je n’y vais pas, cet homme va mourir et ce sera par ma faute, parce que je ne l’aurais pas aidé. Je suis médecin et c’est mon devoir. »

MSF à Mossoul

Les équipes MSF continuent d’assurer des soins d’urgences et des activités chirurgicales auprès des hommes, femmes et enfants blessés dans les combats en cours à Mossoul. En parallèle, des équipes renforcent leur assistance pour pallier les manques de soins hospitaliers causés par la destruction des structures de santé locales. Les équipes MSF travaillent actuellement dans six dispositifs de santé autour de Mossoul. Afin d’assurer son indépendance, MSF n’accepte aucun don de la part d’Etats ou d’agences internationales pour ses programmes en Irak. Le financement de ces activistes ne reposent donc que sur les donations privées à travers le monde.