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L’UE ne peut pas se détourner de son devoir de proposer l’asile

Nous sommes confrontés à la plus grande crise migratoire de ces dernières décennies : plus de 60 millions de personnes ont été contraintes de quitter leurs foyers pour fuir la guerre, la misère et l’oppression en Syrie, en Afghanistan, en Irak, en Somalie ou encore en Érythrée.

Dissimuler leur honte

Un très faible pourcentage de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants désespérés risquent leur vie à bord de bateaux surchargés pour venir frapper à la porte de l’Europe. La crise a mis les dirigeants européens face à une alternative : soit ils optaient pour la coopération et proposaient l’asile ainsi que leur aide à ces populations vulnérables, soit ils les repoussaient dans d’autres pays, loin du regard, là où les populations européennes ne seraient pas confrontées à la souffrance et les leaders européens pourraient plus facilement dissimuler leur honte.

Ils ont choisi la seconde option. Signé en mars, l’accord entre l’Union européenne (UE) et la Turquie dédommage financièrement et politiquement la Turquie pour empêcher les migrants et les réfugiés d’atteindre les côtes européennes et prendre en charge les déportés de camps de prisonniers grecs insalubres. Selon Médecins Sans Frontières, cet accord innommable entérine le recul historique de l’Europe face à ses obligations morales et juridiques d’asile.

Un signal préoccupant au reste du monde

Externaliser la prise en charge des migrants n’est certes rien de nouveau, mais il s’agit de la plus grande tentative collective et organisée de renvoi de populations. Ce faisant, l’Europe envoie un signal préoccupant au reste du monde et d’autres pays pourraient tenter de se soustraire à leur devoir de proposer l’asile. S’il est reproduit par un grand nombre d’États, le concept de réfugié cessera d’exister. Des populations se retrouveront prises au piège dans des zones de guerre sans pouvoir fuir la mort, avec aucun autre choix que de rester et de mourir.

Le bombardement récent d’un camp de déplacés près d’Idlib, dans lequel 28 personnes au moins ont été tuées, montre que le concept « d’espaces sûrs » en Syrie n’est pas viable.

Où est passée l'empathie européenne ?

Avec cet accord, les dirigeants de l’Union européenne ont fait un choix qui devrait confronter les citoyens de ce continent prospère à de graves questions : en 2016, qui est encore humain ? Quelles vies comptent ? Qu’en est-il de l’empathie ? Et où est passée notre solidarité face à la douleur et au désespoir de populations dont les vies ont été brisées ?

L’accord pose également de nombreuses questions au sein d’organisations humanitaires comme la mienne, Médecins Sans Frontières, qui assiste des réfugiés et des migrants en Europe depuis plus de quinze ans. Non contents de leur politique de dissuasion incarnée par les murs de barbelés, les chiens renifleurs et la construction de murs encore plus grands, les chefs d’État et de gouvernement européens ont cette fois décidé de se servir de l’aide humanitaire et de l’aide au développement pour contrôler leurs frontières.

Les réfugiés ne sont pas une marchandise

En n’autorisant l’aide humanitaire que dans le cas où la souffrance est renvoyée à l’étranger, l’accord UE-Turquie viole le principe humanitaire d’assistance inconditionnelle basé sur les besoins uniquement, et non sur l’appartenance politique. Or, l’aide humanitaire se doit d’être absolument indépendante de l’accord politique et les populations en difficultés doivent en bénéficier, quel que soit le nombre de personnes arrivant dans l’Union européenne depuis la Turquie.

L’Europe a offert des milliards d’euros à la Turquie dans le cadre de cet accord, confrontant le secteur humanitaire à un terrible dilemme : bien que les réfugiés et les migrants aient désespérément besoin d’assistance, doivent-elles pour autant se compromettre en devenant complices d’une politique anti-humanitaire visant, à terme, à maintenir ces populations en dehors du sol européen ?

La Turquie, qui a déjà accueilli près de trois millions de réfugiés sur son territoire, a bien sûr besoin d’aide, mais celle-ci ne peut être réduite à un instrument de marchandage politique. Les réfugiés ne sont pas une marchandise à vendre et à acheter. L’Europe ne peut pas se détourner de son devoir de proposer l’asile. Plutôt que de renvoyer ces populations dans la gueule du loup, l’Europe ferait mieux d’employer ses importantes ressources afin d’accueillir et protéger ceux qui en ont besoin, et non payer la Turquie pour les maintenir à l’écart.